lundi 30 janvier 2017

Résolution N°4 : maîtriser le temps de l'infusion selon la force souhaitée.

Résolution N°4 : maîtriser le temps de l'infusion selon la force souhaitée.

On entend souvent dire "je ne bois pas de thé car c'est amer". Régulièrement, en boutique, on nous demande "... un thé qui ne soit pas amer..."
Dans tous les cas de figure, notre réponse est toujours la même : c'est la durée de l'infusion qui détermine le niveau d'amertume de la liqueur.  
Aucun thé n'est amer si le temps d'infusion est respecté et si les feuilles sont retirées de l'eau à l'issue de ce temps.
Ou encore : un thé trop amer est un thé mal préparé...
L'amertume est l'un des quatre goûts que nous percevons en bouche (sucré, salé, acide et amer), et correspond à des localisations précises. Les japonais y ont ajouté umami, qui est un concept organisé autour de "...qui donne envie...", proche de l’appétence.
Pour réussir son thé le facteur temps est essentiel. C'est l'un des quatre paramètres à contrôler. (Pour mémoire : poids de thé par rapport au volume d'eau, température de l'eau et temps d'infusion).
Pour éviter un excès d'amertume, nous indiquons toujours sur chaque boîte, sur chaque sachet de thé la température conseillée et le temps d'infusion. N'achetez jamais un thé sans indications ni recommandations.
Les thés en feuilles entières supportent des infusions plus longues que les thés en coupe fine (broken, dust) qui infusent plus vite et souvent plus fort, en raison de leur surface d'échange avec l'eau qui est plus importante.
Le thé ? Une histoire de temps qui passe...
Il y a des règles relativement simples à retenir et des temps à respecter. Dans tous les cas, il est impératif de suivre nos préconisations qui varient selon le thé et qui peuvent varier à l'intérieur d'une même famille de thés :
- thés verts japonais : de quelques secondes à plusieurs minutes, selon le thé et le mode de préparation choisi.
- thés verts coréens : de 2 à 3 minutes.
- thés verts chinois et autres pays : autour de 3 minutes
- thés blancs : autour de 5 minutes. Ce temps peut varier selon les provenances.
- thés jaunes : de 5 à 6 minutes
- thés oolong : de 5 à 7 minutes
- thés noirs : de 3 à 6 minutes
- thés pu erh : d'une dizaine de secondes à plusieurs minutes selon le mode de préparation choisi.
Et bien sûr, il y a des exceptions ! Un grand Yunnan noir riche en bourgeons peut supporter 8 minutes. Notre thé vert de Thaïlande, Ban Mai, ne commence à prendre de l'amertume qu'à partir de la 8 ème minute... Là encore, notre compétence est à votre service. Nous pouvons vous conseiller pour chaque thé.
Le sablier ? Il n'y a que l'embarras du choix !
Ces règles ne sont que des préconisations, car en matière de thé, la chose la plus importante est de savoir ce que l'on aime. Nous avons tous, pour des raison d'éducation et de culture, un rapport à l'amertume qui est différent. C'est à chacun de se connaître et d'être attentif au degré d'amertume qui est ou non souhaité. Notre rapport à l'amertume évolue avec le temps et les expériences sensorielles.


On confond aussi l'amertume avec l'astringence, l’âcreté, la verdeur, la charpente, la force. L'astringence correspond à une sensation d'assèchement de la bouche. L’âcreté est une combinaison de d'amertume et d'astringence. La verdeur est la caractéristique d'un thé jeune, manquant de maturité dans le cas des pu erh. La charpente et la force sont des caractéristiques liées au type de thé et à la taille de la feuille. Ces termes décrivent une synthèse, une perception globale des effets perçus en bouche.

Tout ceci nous ramène à une constante dans la dégustation du thé : rien ne vaut l'expérience individuelle confrontée à son goût. Soyez attentif à votre thé et à sa préparation. C'est à travers la pratique quotidienne que la maîtrise s'affine. Le thé est une pratique.

Retrouvez les résolutions précédentes en cliquant sur les liens.

mardi 24 janvier 2017

Les fleurs de thé : l'expression du raffinement

Connaissez vous les fleurs de thé ? 


Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, ce ne sont pas des fleurs véritables, mais un assemblage manuel de bourgeons de thé vert liés par un fil, en une certaine forme. D'où leur rangement dans la famille des thés manufacturés. On imagine aisément qu'au travail de la cueillette s'ajoute celui de la précision de l'assemblage. Les feuilles de thé vert font l'objet de toutes les attentions car elles doivent être entières et sans défauts. La liqueur est celle d'un thé vert chinois, à dominante herbacée. Cette tradition chinoise ancienne permet d'ajouter une indéniable qualité esthétique au thé, car au cours de l'infusion, les feuilles reprennent leur forme initiale, dans un mouvement très lent, une danse au ralenti. C'est l'association du beau et du bon, dans une démarche où la recherche du raffinement est très présent.
Certaines de ces fleurs cachent dans leur coeur une autre fleur, réelle cette fois-ci, et de couleur. On peut y trouver du chrysanthème, de l'amarante, du jasmin.. Une fois la fleur de thé ouverte, cette fleur cachée s'échappe des feuilles de thé pour baigner dans la liqueur (voir photos ci-après).

Nous vous présentons deux fleurs qui on retenu notre attention, tant pour leurs qualités gustatives que pour la beauté de l'infusion.


Die Luan Hua (une fleur d'amarante rose)

Die Luan Hua est fabriquée dans la province chinoise du Fujian. Elle ressemble à un petit champignon et renferme une fleur d'amarante, de couleur rose.
Vous pouvez voir sur les photos qui suivent, l'évolution entre la fleur sèche et la fleur infusée. Le changement de volume est remarquable puisqu'on passe d'une fleur sèche de 3cm à une fleur infusée de plus de 8 cm.
La surprise est au rendez-vous !

Die Luan Hua : fleur avant infusion environ 3 cm
Die Luan Hua : infusion

L'amarante émerge des feuilles de thé

Die Luan Hua : fleur après infusion


Tian Hua (3 fleurs de chrysanthèmes jaunes)

Tian Hua est fabriquée dans la province chinoise d'Anhui.  Elle ressemble à un petit chapeau de paille. La fleur sèche n'est pas impressionnante mais elle cache très bien son jeu car l'infusion va nous apporter une belle surprise.
On a d'abord l'impression que la fleur a du mal à trouver le chemin de la sortie, mais une fois qu'elle pointé le bout de son nez, on se rend vite compte qu'elle n'est pas seule : deux autres petits chrysanthèmes jaunes vont la suivre et les trois sont alignées sur un fil blanc. Le spectacle est splendide.


Tian Hua : fleur avant infusion



Tian Hua : début de l'infusion, la première fleur pointe le bout de son nez
Tian Hua : les chrysanthèmes sortent doucement



Tian Hua : les trois chrysanthèmes sont déployés
Tian Hua : les fleurs après l'infusion

Conseils de préparation : pour profiter pleinement du spectacle, il est préférable de faire infuser la fleur dans une théière en verre ou dans un grand verre, de 4O cl de contenance. L'eau devra avoir vers 75 à 80 degrés. La première infusion, de 4 à 5 minutes, est la plus spectaculaire car c'est là que la fleur se déploie au ralenti. Une fois cette première infusion servie, on peut remettre de l'eau chaude et faire ré-infuser la fleur 3 ou 4 fois. Le temps d'infusion sera là un peu plus court, de l'ordre de 2 à 3 minutes seulement.
Pour nous c'est un thé à partager à 3 ou 4 personnes. Chaque infusion donnant 4 tasses de 10 cl, on arrive après un cycle complet à servir 40 cl de thé à chaque participant.

Vous pouvez retrouver cette fleur de thé et d'autres encore sur 

lundi 23 janvier 2017

Résolution N°3 : chauffer l'eau à la bonne température

Résolution N° 3 : chauffer l'eau à la bonne température.


Si on ne peut pas faire un bon thé avec des feuilles de mauvaise qualité ou avec une théière mal entretenue la qualité et la température de l'eau  jouent également des rôles essentiels.

Le choix de l'eau
Une bonne eau doit être minéralisée mais sans excès. En fonction de votre lieu d'habitation, l'eau du robinet est plus ou moins neutre, plus ou moins dure, comporte plus ou moins d'odeurs gênantes (chlore, vieilles canalisations...). Si l'eau de votre robinet est bonne, vous pouvez l'utiliser sans restrictions. Gardez cependant en mémoire que le même thé infusé dans des eaux différentes, donne toujours un résultat différent, même si cette différence est faible. Cependant si l'eau du robinet est trop marquée, il ne vous reste plus qu'à opter pour de l'eau de source (potable, bien sûr !) ou de l'eau en bouteille du commerce. Il en existe une grande variété, à chacun d'y trouver son bonheur. Sachez toutefois que les plus chères ne sont pas forcément les plus adaptées.

La température de l'eau

La température de l'eau d'infusion est l'un des paramètres essentiels à contrôler pour réussir son thé.
Bon à savoir : en versant l'eau dans la théière froide, la température de l'eau descend d'environ 5 degrés. 
On peut donner des indications de température pour l'eau d'infusion, mais il faut comprendre que quatre paramètres doivent être maîtrisés pour réussir son thé : le poids de thé en rapport avec le volume d'eau, la température de l'eau et le temps d'infusion. Modifier un paramètre change le résultat ou demande un rééquilibrage. Exemple : on peut baisser la température de l'eau mais il faut alors allonger le temps. 
Les erreurs à éviter tournent autour d'une idée forte : si les thés noirs, oolong et pu erg demandent une eau très chaude (90-95 degrés) pour certains thés il vaut mieux éviter d'aller au-delà de....

   - 75° à 85° pour les thés verts chinois
   - de 40° à 75° pour les thés japonais
   - de 60° à 75° pour les thés blancs.

Comment connaître la température de l'eau ?
  - En la mesurant avec un thermomètre...
  - En investissant dans une bouilloire à température programmable.
  - En la regardant : les petites bulles = 85° à 90°, 
                                les gros bouillons =  95°
  - En écoutant votre bouilloire : elle chante et ne produit pas les  
    mêmes sons à 75° qu'à 95°.
  - Prenez l'habitude de toucher votre théière, vous saurez vite si  
    elle est trop chaude.
  - Laissez reposer votre eau chaude pendant quelques minutes, elle 
    refroidit lentement...
  - Petit truc : Pour obtenir autour de 75°, mettez  deux centimètres 
    d'eau froide dans le fond de votre théière (0,5 litre) et ajouter de 
    l'eau bouillante. C'est approximatif mais ça marche !

Mais ce ne sont là que des indications et des recommandations. Les variations sont nombreuses en fonction de la récolte, du choix de la cueillette et du résultat que l'on veut obtenir. 
La première vraie règle est de savoir ce que l'on aime et d'oeuvrer pour y parvenir. Certains thés demandent de la finesse et de la douceur dans la préparation, d'autres sont plus rudes. Certains buveurs cherchent les infusions légères et délicates, d'autres préfèrent la charpente et la puissance, voire l'amertume. A chacun de faire en fonction du plaisir qu'il trouve dans la tasse.
La seconde vraie règle est de confronter son goût à celui des autres et de partager le thé. Les bonnes surprises sont fréquentes.

Retrouvez les autres résolutions en cliquant sur les liens :

Résolution N°1 : toujours choisir du thé de qualité
Résolution N°2 : utiliser une théière bien entretenue
Résolution N°4 : maîtriser le temps de l'infusion selon la force souhaitée
Résolution N° 5 : mettre la bonne proposition de thé selon le volume d'eau
Résolution N°6 : déguster en pleine conscience et en prenant le temps
Résolution N°7 : préparer un thé et le partager

dimanche 22 janvier 2017

Les tableaux de Nicoleta Dumitrache Flotté

Nicoleta Dumitrache Flotté expose en ce moment un ensemble de tableaux peints à l'huile sur toile. L'artiste travaille selon le principe du rêve éveillé, laissant se créer les associations de couleurs, de formes et de matières.

Trois grands thèmes émergent dans cette exposition : 

- Les paysages : ce ne sont pas des tableaux purement figuratifs, mais plutôt des créations d'inspiration figurative, que l'artiste fait évoluer en fonction de son inspiration. Le jeu des couleurs, les formes transformées, la superposition des plans nous entraîne vers un monde où les choses sont évoquées, évoluant du réel vers un imaginaire fertile et coloré.

    

- Les compositions non-figuratives : le jeu des surfaces, du trait et de la couleur nous ouvre les portes d'un monde où la géométrie du dessin semble former le 
marqueur principal.  

 


La spirale y tient une place particulière, tant par sa mise en abîme que par l'opposition des forces qui la construisent.

Le monde de Nicoleta Dumitrache Flotté s'articule entre imaginaire et expression, tissant les liens inspirés de son rêve éveillé, construisant des temps et des espaces à côté du réel, nous emportant dans un univers aux traits et aux paysages colorés.

Vous pouvez lire deux autres articles en cliquant sur les liens ci-dessous :

Pour voir les photos du vernissage
Pour lire le texte de l'artiste

jeudi 12 janvier 2017

Résolution N°2 : Utiliser une théière bien entretenue

Résolution N° 2 : Utiliser une théière bien entretenue.


Pour obtenir une liqueur de qualité, il est essentiel d'utiliser une théière qui n'altère pas les qualités organoleptiques de votre thé ou de votre infusion.

(Cet article ne concerne pas exactement les théières en terre de Yixing, qui sont en général réservées aux thés oolong de même taux d'oxydation, voire exclusivement à un thé oolong particulier. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, l'interaction entre la théière et la liqueur est recherchée.)  
En principe la théière est un contenant neutre (porcelaine, terre vernissée, fonte émaillée, verre...) qui n'a pas d'action significative sur la liqueur et il est important de respecter des règles simples d'entretien.

- Avant utilisation, vérifiez que la théière est sèche et qu'elle ne contient pas de moisissures ni de restes de feuilles de thé. 
- Après utilisation, rincez la théière à l'eau claire, vérifiez s'il n'y reste pas de résidus de feuilles ou de dépôt. 
- Evitez l'utilisation de détergents (produit vaisselle)
- Laissez sécher la théière à l'air libre, retournée et ouverte.
- Si des dépôts s'accumulent au fil des infusions, il est tout à fait possible de les enlever pour éviter qu'ils ne perturbent et n'influent sur les infusions suivantes. Une éponge sans détergent fera l'affaire. Si les traces persistent on peut utiliser le grattoir de l'éponge.


Une bonne théière, bien entretenue, soignée et bichonnée vous accompagnera pendant des années et vous offrira, jour après, jour ces liqueurs géniales, parfois discrètes mais toujours somptueuses !


Retrouvez les autres résolutions en cliquant sur les liens :

Résolution N°1 : toujours choisir du thé de qualité

Résolution N°3 : chauffer l'eau à la bonne température
Résolution N°4 : maîtriser le temps de l'infusion selon la force souhaitée
Résolution N°5 : mettre la bonne proportion de thé selon le volume d'eau
Résolution N°6 : déguster en pleine conscience et en prenant le temps
Résolution N°7 : préparer un thé et le partager
 

Quelques photos du vernissage de l'expo de Nicoleta Dumitrache Flotté

Hier soir a eu lieu le vernissage de l'exposition des tableaux de Nicoleta DUMITRACHE FLOTTE
En voici quelques photographies.
Nicoleta Dumitrache Flotté
La vingtaine de personnes qui étaient présentes a pu découvrir les œuvres et entendre les explications de l'artiste sur son processus créatif et ses sources d'inspiration. Elle a ainsi développé le concept de rêve éveillé et situé le rôle du paysage dans sa peinture.

Pour accompagner les petites douceurs offertes au vernissage, l'artiste avait choisi le rooibos "Saga Africa" (fruits exotiques, pêche, orange) et une infusion Le Jardin Zen (orange, citronnelle, camomille, menthe).






lundi 9 janvier 2017

Nicoleta Dumitrache Flotté à L'Essence du Thé

Tableau de Nicoleta Dumitrache Flotté

Nicoleta Dumitrache Flotté expose à L'Essence du Thé à partir du mercredi 11 janvier 2017. 
Elle nous livre sa réflexion philosophique sur la fonction de l'artiste.

L’artiste : mon semblable et mon Autre
La figure de l'artiste est souvent associée dans notre imaginaire, à tort ou à raison, avec la folie, la solitude, le génie, l'incompréhension, la souffrance. Cela ne signifie pas pour autant que le commun des mortels serait du coup nécessairement sain d'esprit, sociable, toujours médiocre, voire moins... et donc facilement compris, vivant, de plus, dans une joie permanente, car facile... Ce qui est fascinant c'est remarquer à quel point les autres hommes que l'artiste ont besoin de cet Autre qu'eux-mêmes qu'ils vénèrent autant qu'ils méprisent ou mécomprennent. L'Artiste, en effet, semble être à la fois mon semblable et cet Autre auquel nous, les autres non artistes, ne cessons de nous référer. L'Artiste hante notre imaginaire aujourd'hui comme un point d'ancrage absolu dans un monde de plus en plus nihiliste qui a du mal à faire le deuil du principe absolu. Peut- être que l'artiste, la figure de l'artiste, est ce deuil imparfait de l'absolu dans nos consciences. Victor Hugo avait utilisé cette analogie heureuse dans ses Contemplations : « L’Art est à l’homme ce que la nature est à Dieu ». Justement, l’artiste n’est-il pas l’héritier du divin hic et nunc ? Car l’artiste ne crée-t-il pas une œuvre finie et pourtant pointant vers l’infini, vers l’absolument Autre de sorte qu’il nous enchante encore et toujours ? L’artiste ne fait-il pas écho à une demande sourde en nous que nous ne saurions pourtant exprimer distinctement grâce au logos, grâce au seul discours rationnel, discursif ? D’où l’entière légitimité du mythe, du muthos comme histoire ou fiction créée de toutes pièces. L'Artiste nous intrigue d’autant plus qu'il est à la fois homme comme tout le monde et création géniale, morceau d'absolu, de maîtrise, de génie, de différence radicale. Et c'est parce que nous savons tous d’un savoir confus et maladroit sans doute que l'artiste incarne cet Autre que nous ne sommes pas, mais dont nous avons une certaine idée, qu'il ne cesse de nous intriguer, de nous fasciner.
L'Artiste est à la fois mon semblable et mon Autre. Pour comprendre la portée de cette affirmation nous devrons tenter de déplier l'idée même d'artiste afin de mieux comprendre la différence qui nous sépare de ce alter ego qu'est l'artiste. Qu'est-ce donc qu'un artiste ? Une première remarque s'impose. Nous associons injustement dans nos esprits l'idée d'artiste avec les beaux-arts, laissant de côté les autres branches de l'art comme les arts et métiers (l'artisanat) de la classification en date depuis le XVIIIe comme si seul le peintre, l'architecte, le sculpteur (pour les beaux-arts plastiques) ou encore le compositeur, le danseur, le poète ou l'acteur (pour les beaux-arts rythmiques ou musicaux) auraient le monopole de l'appellation légitime d'artiste...
Espérons que ce préjugé est derrière nous, car dénoncé, et donc que l'artisan (on peut penser ici à une robe de haute couture, pour commencer, à un plat cuisiné exquis, à l’œuvre d’un ébéniste, etc.) puisse avoir aussi le statut d'artiste en vertu de sa maîtrise exceptionnelle de son art, de sa technè. Nous reconnaissons ainsi à la fois le savoir et le faire, la théorie et la pratique, la praxis et la poiesis.
Si nous cherchons à savoir ce qui fait l'artiste véritable et non pas tout homme capable d'apprendre certaines techniques de création ou de production en échange de quelques cours réguliers (on pense ici à l'artiste de dimanche ou aux nombreux étudiants en beaux-arts...), alors nous serons forcés d'admettre non seulement une connaissance et une maîtrise des techniques de production ou de création dans son domaine de prédilection mais surtout un plus, un je ne sais quoi de génial qui le distingue des autres, à savoir une maîtrise exceptionnelle, hors norme, qui dépasse de loin tout ce qui existe dans son art. Est artiste celui qui est capable d'inventer des nouvelles règles internes inimitables dans son art, c'est de là que tire sa maîtrise l'artiste véritable. Il est capable de faire ce que personne d'autre ne fait pas encore. C'est la raison pour laquelle nous pouvons dire que l'artiste est toujours en avance sur son temps, sur son époque. Si cette expression est juste, c'est dans un sens que nous aimerions développer. L’artiste nous étonne justement parce qu’il change les repères, les critères de nos jugements, la façon de regarder le monde même. Il désoriente notre regard trop habitué et donc formaté. Il nous étonne d’autant plus qu’il nous propose une nouveauté radicale, un inconnu qui sort de nulle part et qui s’impose de façon imprévisible de par la nécessité factuelle de son existence. Or l’homme est cet animal bizarre, comme le rappelait Nietzsche qui a peur de l’inconnu, de la différence, de l’imprévisible – autant d’attributs de l’œuvre d’art géniale aux yeux du public (profane ou spécialisé dans le domaine de l’art). L’artiste devance notre paradigme habituel et propose souvent un autre. D’où, souvent, le refus, l’incompréhension, le mépris, l’injustice envers l’artiste de son vivant.
Tableau de Nicoleta Dumitrache Flotté
Si l'artiste existe, c'est parce qu'il y a du possible, de la contingence à exploiter. Mais cette précision n'est pas suffisante toute seule. À cela nous devons ajouter que l'artiste véritable est celui qui, logé dans le tourbillon de la contingence, peut en sortir des nouvelles formes de réalité. Le paradoxe de la spécificité de l'artiste est d'utiliser le possible, la contingence afin de mieux montrer le nécessaire, ce qui est et ne peut être autrement, choses que nous, les autres hommes, nous savons par ailleurs. Mais si nous le savons pourquoi ne sommes-nous pas tous des artistes ? Que fait en plus l'artiste pour qu'il nous dépasse, pour qu'il nous rappelle sans cesse la différence abyssale qui nous en sépare ?
L'artiste nous aide à prendre conscience de ce que nous savons déjà. Car savoir sans vraiment vivre, éprouver ce que l’on sait ne sert à rien. Son génie artistique est le moyen par lequel il nous aide à mieux voir et vivre la réalité, la vérité sur la réalité. Le beau, la belle forme, est le moyen par lequel l'artiste arrive à son but mais son but nous le connaissons tous : dire ce qui est, retenir dans son chef d'œuvre la singularité, l'exemplarité du réel qui nous échappe inexorablement. Et c'est parce que nous savons ce que fait l'artiste que nous pouvons apprécier son œuvre. L'ignorance n'a pas de place dans l'appréciation d'une œuvre d'art. Mais justement toute la différence vient de là : savoir et prendre conscience de ce que l'on sait ne sont pas la même chose. Or l'artiste véritable, l'artiste génial est celui qui est capable d'inventer des nouveaux moyens afin de dire ce que nous savons déjà mais que nous oublions sans cesse : la valeur de la vie, l'importance de l'amour, de l’amitié de la solidarité, la mort, le besoin d'absolu, la nécessité des valeurs dans la cité, la fuite inexorable du temps, la quête de l’être, de l’éternité de l’homme, etc. L'artiste véritable est donc notre semblable qui refuse de vivre en pragmatique, en utilitariste grossier ou en cynique. Il nous rappelle à quel point notre vue a des œillères, est rétrécie par la vie de tous les jours à cause de l’action. On pourrait, en effet, croire, avec une certaine dose de mauvaise foi que nous voyons habituellement les choses et que l’artiste ne fait qu’imiter et simplifier le réel qui est son origine et son fondement, son principe. Mais ce serait rester prisonnier de l’illusion de la vérité-correspondance. En réalité il y a toujours un reste entre les choses, nous, notre perception et le langage qui dit les choses perçues. Or nous faisons comme si ce reste n’existait pas, car trop problématique. Si nous étions un peu plus modestes, alors il faudrait dire que toute perception est une interprétation plus qu’un jugement sans reste ou un enregistrement passif sur fond de sensibilité. Et le réel est la ligne d’horizon toujours mouvante de toutes nos perceptions... Le réel est l’idéal de toute pensée, jamais un donné simple et plat. C’est précisément ce présupposé que partage le véritable artiste. Le réel est un idéal qui meut toute œuvre d’art. Et la création artistique ne peut que continuer indéfiniment justement parce que chaque création artistique laisse un reste de ce réel qui hante sans cesse l’artiste. Il fera mieux la prochaine fois, se dit l’artiste tout en sachant qu’il ne pourra pas honorer cette promesse. Il arrivera à dire ce qu’il n’a pas pu dire avec cette création, avec ce cycle, etc.

L'artiste a en plus une avance sur nous car il est ce qu’on appelle un éveillé. Il sait ce qui compte, ce qui a de la valeur, et nous le rappelle non pas de façon théorique, abstraite, mais par le biais de la sensibilité, grâce au toucher, grâce à la vue, grâce à nos cinq sens. C'est pourquoi l'artiste nous touche. L'artiste nous touche dans ce qui est anesthésié en nous, nous réapprend à voir, à toucher, à marcher, à rêver... Il nous apprend à voir ce que nous regardons d'ores et déjà sans voir. La fiction artistique est justement le moyen paradoxal qui nous permet de nous ouvrir les yeux sur le monde, les autres et nous-mêmes. La vérité par le mensonge, par le muthos... Quand on pense que la vérité, le logos se base essentiellement, fondamentalement sur son contraire pour les réaliser !
C'est en ce sens que l'œuvre d'art de l'artiste a un effet de révélation sur nous. Révélation comme levée du voile et élévation de notre esprit vers ce qui est, vers cet absolu du réel que nous ne cessons de rater habituellement. En même temps l’art ne nous révèle pas tout (c’est-à-dire le réel), ne tombons pas à nouveau dans l’illusion de la vérité sans reste valable une fois pour toutes. Loin de là. S’il y a révélation, c’est au sens où seul l’artiste génial est capable de nous raconter l’histoire du réel profus, protéiforme et labyrinthique au point où, enivrés des détails subjectifs de la perspective singulière de l’artiste nous sentons, enfin, dans ce singulier, la marque de l’absolu du réel, nous rapprochant, ainsi, de l’énigme du réel. Le réel se révèle à nous... toujours en biais, toujours incomplètement.
L’art et l’artiste ont un effet de catharsis sur l’homme. L'artiste est là pour nous rappeler la différence infime et pourtant radicale qui existe entre nous et lui. D'où l'admiration, mais aussi le mépris quand il est trop tard pour nous de voir... parfois l'envie d'être comme lui, de croquer dans l'éternité et d'être un modèle inimitable pour les autres, pour la postérité. 
                                                                                                                     Nicoleta Dumitrache Flotté 


Tableau de Nicoleta Dumitrache Flotté