dimanche 28 octobre 2018

Hiroshi Sugimoto à Versailles

Sugimoto Versailles : de Sen no Rikyu à Piet Mondrian et Marcel Duchamp, une exposition à plusieurs niveaux de lecture et une déclinaison d'hommages.
L'artiste japonais Hiroshi Sugimoto a repensé la maison de thé traditionnelle de la culture japonaise et a créé "Glass Tea House Mondrian", un regard qui croise le sado (la voie du thé), le chanoyu (la cérémonie du thé) et l'abstraction contemporaine de l'artiste Piet Mondrian. Présentée à la Biennale de Venise en 2015, c'est maintenant à Versailles qu'elle est visible, jusqu'au 17 février prochain. Mais cette fois-ci, des liens supplémentaires y ont été ajoutés. 
Glass Tea House à la Biennale de Venise
Glass Tea House à la Biennale de Venise
Glass Tea House à la Biennale de Venise

L'exposition "Sugimoto Versailles" donne à voir bien plus que Glass Tea House, l'artiste présentant également des photographies et des sculptures. Cependant c'est vraiment cette nouvelle présentation du pavillon de thé qui nous intéresse ici. Hiroshi Sugimoto y a organisé une cérémonie du thé - chanoyu. 

Le chanoyu est une chose simple. Il consiste à préparer du thé et à le partager. Mais derrière cette apparente simplicité se cache une formidable complexité qui nous entraîne dans d'autres univers.


Glass Tea House est présentée dans le bassin du Plat Fond, près du Grand Trianon. Hiroshi Sugimoto explore en permanence le lien avec le passé et le temps. Le lien avec la culture japonaise est ici clairement énoncé. Hommage.

La mise en scène dans ce bassin trouve un équilibre qui lui est propre. L'accès à Glass Tea House se fait par un petit ponton en bois, au ras de l'eau. On a le sentiment que les personnages flottent, dégageant une irréelle légèreté. Tout ici est harmonie : le pavillon transparent et ses reflets sur l'eau, les gestes infiniment réglés et répétés du maître de thé, le calme, l'environnement du parc, les couleurs de l'automne, le soleil plus doux. Tout est marqué par l'harmonie, le wa, premier principe du chanoyu. 

Le bassin évoque l'élément eau, présent dans le jardin japonais et symbolisant kei, la pureté, le deuxième des quatre grands principes du chanoyu. 
Sei, le respect, est le troisième principe. Il est présent dans l'ensemble de la cérémonie et dans toute la démarche de l'artiste : respect du code du chanoyu, de la tradition, du passé, de l'histoire.
La cérémonie du thé a été codifiée par Sen no Rikyu (1522-1591), dans la deuxième moitié du 16ème siècle. Les trois écoles principales du chanoyu (Urasenke, Omotesenke et Mushakojisenke), la voie du thé, ont été fondées par des descendants de Sen no Rikyu.
Le chanoyu qui a été présenté à Versailles le 14 octobre a été dirigé par le maître de thé So-oku-sen, issu de l'école Mushakojisenke, assisté par Hiroshi Sugimoto lui-même. On peut donc considérer que ce chanoyu relève à la fois de la tradition et d'un performance d'art contemporain. 
Le château de Versailles commence son histoire avec la construction d'un relais de chasse en 1623 par Louis XIII.
Cette période est quasiment contemporaine (ou juste successive) de celle de la codification du chanoyu, et lui fait écho.
Si le premier lien est établi avec Piet Mondrian et l'art contemporain, le second lien est d'évidence historique, dans la correspondance des périodes.
S'y ajoute un troisième lien, beaucoup plus discret et qui est passé quasiment inaperçu. Il fait à nouveau appel au chanoyu. Lors de la cérémonie du thé, le maître de thé prépare un thé pour un invité et utilise des accessoires choisis  : bol à thé (chawan), fouet en bambou (chasen), cuillère en bambou (chashaku), louche en bambou (hishaku) ainsi qu'une bouilloire (kama) et un pot à eau froide.
Le bol à thé (chawan) qu'a utilisé Hiroshi Sugimoto était en fait une réplique miniature en porcelaine de "Fontaine" (1917), l'oeuvre emblématique de Marcel Duchamp.
Splendide clin d'oeil et deuxième hommage à l'art, le dadaïsme en l'occurence. L'art dans le souci du  détail, dans le non-dit, car ce chawan n'était pas visible pour les chanceux qui assistèrent (de loin) à ce chanoyu. L'évidence est souvent discrète, voire cachée.
Nous sommes bien à la croisée des chemins et des dialogues entre histoire et art contemporain, avec un parti pris minimaliste dans les moyens qui nous renvoie à ce regard extrême-oriental qui ne dit pas nécessairement tout et sait placer l'essentiel au second plan.
Cette rencontre nous amène au quatrième principe du chanoyu : jaku, la sérénité. 
Tout y a concouru, tout y a mené. 

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